ENTRETIEN :: Maxence Cyrin



Maxence Cyrin aime la techno mais n'est ni DJ, ni disquaire, ni journaliste. Non, Maxence est pianiste. Après avoir repris des morceaux techno au piano pendant presque dix ans, il se consacre désormais aux compositions originales et vient de sortir The Fantasist sur le label Ekler'o'Shock.


Bonjour Maxence !
Peux-tu nous raconter comment tu as découvert la musique ?

Ma mère écoutait beaucoup de musique classique et je lui empruntais régulièrement ses 33 tours, notamment « Une nuit sur le mont chauve » de Moussorgski qui est une musique illustrative de rituels sataniques  le morceau a été repris en version disco pour la BO du film Saturday Night Fever. Elle m’avait acheté Breakfast in America de Supertramp à la foire de Morteau, là où nous habitions, et m’avait abonné au club France Loisirs, ce qui me donnait droit à une cassette par mois. C’est comme ça que j’ai découvert Mike Oldfield, The Clash et Mickael Jackson comme tous les ados de mon âge. Puis je me suis mis à acheter de la musique à l’aveugle avec mon argent de poche, j’aimais à peu près tout en ayant une préférence pour la pop et le rock. Enfin, je suis passé des cassettes aux vinyles grâce à un bon disquaire qui se trouvait près de chez moi. J’écoutais alors pas mal de hard-rock et de métal à ce moment-là, et surtout je lisais Rock’n’Folk qui était ma bible  c’est d'ailleurs grâce à ce magazine que j’ai découvert les Stooges !
Je me suis ainsi fait mon éducation musicale seul.

A la fin des années 80, je suis rentré au lycée et j’y ai rencontré plein de gens. Ça m’a permis de découvrir d’autres groupes – comme les Béruriers Noirs – et surtout de nouveaux genres comme la coldwave ou la musique industrielle, représentés par Current 93, Laibach, Einstürzende Neubauten ou encore Die Form (techno industrielle fétichiste). J’allais régulièrement écouter ces musiques-là dans un bar avec des potes, et tous les gens que je côtoyais écoutaient Sisters of Mercy et Joy Division ; c’était la base.

À 18 ans, après avoir fait dix ans de solfège au conservatoire, j’en ai eu marre. Je me suis acheté du matos, dont un ordinateur Atari 520ST et un synthé Roland D-5, puis j’ai commencé à faire des morceaux. Au départ, je voulais composer de la techno, puis je me suis rendu compte que je faisais de la coldwave électronique (un peu comme le Maréchal du Plessis-Praslin, dont le cuisiner voulut faire des dragées et créa finalement les pralines !). Pendant cinq ans, j'ai ainsi enregistré plein de morceaux sur des cassettes, j’ai réalisé un disque auto-produit – Power Trance, qui était d'ailleurs plus de la techno industrielle que de la transe – puis j’ai sorti quelques maxis de techno en Allemagne, en Belgique et en Hollande. Le label Fairway Records me prenait parfois des morceaux pour les inclure sur ses compilations.

Je suis arrivé à Paris en 1996, lors de l'explosion de la French Touch, et je me suis rendu compte que je n’arrivais pas à suffisamment m’exprimer avec la musique électronique. J’ai ainsi progressivement arrêté la techno pour me mettre à composer des chansons de pop orchestrale à la Divine Comedy. Puis, je suis rentré à Radio Nova en 2002 en tant que chansonnier, je faisais des chansons-portraits sur les invités qu'on accueillait.

À 30 ans passés, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose de concret. J’ai joué le crooner au Baron [un club parisien, ndlr] qui venait juste d’ouvrir, j’y faisais des reprises de pop habillé d’un costard crème façon Elvis, mais ça m’a rapidement déplut car je n’étais pas pris au sérieux. En revanche, c’est durant cette période que j’ai développé le concept de jouer de la musique techno au piano, ce qui m’a d’ailleurs permis de reprendre le piano plus de dix ans après avoir arrêté.
Aujourd’hui j’ai suffisamment de technique pour adapter des morceaux, sentir les notes et faire des choix, mais je continue toujours à travailler afin de m’améliorer…

Comment ton album Modern Rhapsodies a-t-il été signé sur le label F Com ?

A l’époque où je travaillais à Radio Nova, j’avais fait une chanson sur Laurent Garnier le jour de sa venue aux studios et je me souviens que ça l’avait touché. Il m’avait laissé son adresse et je ne lui ai envoyé une démo qu’an et demi plus tard lorsque mon projet de reprises early techno/rave au piano avait mûri. Eric [Morand, ndlr] et Laurent m’ont très rapidement contacté, et ma reprise d’Acid Eiffel [initialement composé par Laurent Garnier, Shazz et Saint Germain, ndlr] s’est ainsi retrouvée sur leur compilation Megasoft Office 2005. Puis, naturellement, ils m’ont proposé de sortir un album.
Le projet était comparable à un concept d’art contemporain, sauf que je ne voulais pas que cela reste à l’état de concept brut, je souhaitais que les reprises restent accessibles et mélodiques. J’ai donc arrangé les morceaux avec un style personnel et une approche fin 19ème siècle (Chopin, Debussy, Ravel ou encore Satie). Je souhaitais rapprocher la techno avec la musique de piano tout en faisant un parallèle avec la musique répétitive de Philipp Glass ou Michael Nyman.

On sentait que ce projet était dans l’air du temps, que c’était le bon moment pour sortir l’album. Avant, la musique électronique était considérée comme du bruit et j’ai démontré le contraire en prouvant qu’on pouvait la rejouer au piano.

Joues-tu d’autres instruments mis à part le piano ?

J’ai appris à jouer du clavecin grâce à Michel Gaubert, le designer sonor de Chanel, pour qui j'ai dû adapter des titres afin de les jouer à Milan lors d’un évènement de la marque. Autrement, j’écris parfois des partitions pour d’autres instruments, comme les cordes, mais ce n’est pas moi qui les joue. J’aime beaucoup faire des concerts en solo et j’en referai dans ma vie, car cette configuration me permet de m’exprimer, seul, et de faire voyager les gens rien qu’avec un instrument. Je trouve que le piano est éternel.

Quel est ton regard sur les musiques actuelles ?

J’adore Justice car ils mélangent les genres avec goût et habileté. J’aime les gens qui creusent dans la mémoire de la musique, à l’inverse des puristes qui se cantonnent au solfège primaire. J’aime aussi être surpris et ce n’est pas le cas actuellement… Je reste un vieux fan de techno des années 90, celle des compilations du label berlinois Trésor, ce sont des morceaux éternels et il n’y aura jamais mieux pour moi !

Quel est ton avis sur la fermeture de Megaupload et la loi Hadopi ?

Je ne sais pas trop ce qu'il faut penser de l’affaire Megaupload... Personnellement, je télécharge beaucoup de vieux films illégalement. Pourquoi ? Parce que ça m’embêterait de dépenser 70€ pour un coffret Alain Robbe-Grillet, bien que j’apprécie énormément son Œuvre. Les industries cinématographiques et musicales devraient mettre en place des médiathèques en ligne moyennant l’accès par abonnement. Il devrait également y avoir une offre légale plus forte et des coûts moindres pour les back catalogues [œuvres précédemment produites par un artiste, ndlr]. Les ventes ont considérablement baissé ces dernières années, du coup, la plupart des artistes doivent faire de la synchro de pub [création musicale pour une publicité, ndlr] afin de gagner leur vie. Je préfère vendre plein de disques et toucher des droits d’auteur.

Et puis je pense aussi qu’il y a trop d’artistes. Beaucoup de disques de mauvaise qualité sortent et ce sont souvent les plus médiatiques. Par exemple, je n’arrive pas à comprendre comment on peut aimer Christophe Maé, ça me dépasse ! Tant que le public aura mauvais goût, rien ne changera.

C’est aussi la faute de la majorité des médias, ils proposent de la mauvaise musique au public et les y habituent…

…comme Mc Donald’s. J’ai récemment changé d’alimentation et j’ai perdu cinq kilos sans faire de régime. La musique c’est comme l’alimentation : une question d’éducation et de réflexion, mais les gens ne réfléchissent pas.

Je n’ai pas envie de faire de la musique underground, juste de la musique populaire de qualité. Tangerine Dream a fait de la musique instrumentale, synthétique et novatrice pour l’époque, qui plus est en format long, et pourtant ils ont vendu 27 millions d’albums sans jamais sortir un single diffusé en boucle sur MTV. Les gens ne sont pas si idiots que ça, ils sont juste manipulés. Je suis sûr qu’ils peuvent d’eux-mêmes écouter de la bonne musique, seulement il faut qu’ils adoptent le réflexe d’avoir un esprit critique et surtout d’aller chercher la musique ailleurs qu’à la radio ou à la télévision.

Je regarde souvent les informations le soir, mais je crois que je vais également arrêter la télévision car elle est très agressive et j’ai la désagréable impression que les pubs me sautent au visage. La télé nous donne l’impression d’être relié au monde, mais c’est en réalité factice. C’est pourquoi j’écoute de plus en plus certaines stations de Radio France comme FIP ou France Culture, bien plus intéressantes, comme la presse écrite.

Peux-tu nous parler de The Fantasist, ton dernier album ?

Après avoir réalisé deux albums de reprises, le temps était venu pour moi d'enregistrer mes compositions originales. J'ai rencontré mon actuel producteur Matthieu Gazier un peu par hasard et je lui ai proposé d'enregistrer quelques morceaux. De fil en aiguille, les enregistrements ont mené à l’élaboration d’un album avec beaucoup d'ambition.

Les cordes ont été enregistrées à Berlin et le piano (un Steinway), l’orgue Hammond ainsi que le Mellotron [synthé à bandes magnétiques, ancêtre du sampler, ndlr] chez CBE, le studio mythique qui appartenait à Bernard Estardy [producteur français surnommé « Le Baron », ndlr]. L’album a été réalisé par Frédéric Soulard du groupe Limousine.

Qui est The Fantasist ?

« The Fantasist » signifie « celui qui rêve », « celui qui fantasme ». C'est un personnage énigmatique, traversé par des visions romantiques, des hallucinations et des états mélancoliques prononcés. L'album est le portrait de quelqu’un qui me ressemble sans être tout à fait moi, une sorte de double imaginaire. C'est un disque très onirique.

Comme tous les romantiques, je suppose que tu as déjà composé des musiques pour des femmes ?

Ça m’arrive très souvent ! J’ai par exemple composé « Gradiva » en m’imaginant une femme, « Melody for a Pin-Up » [morceau inédit, ndlr] et « Eye of the Storm » en pensant à une de mes anciennes copines.

On peut aller très loin dans la création musicale lorsqu’on on prend l’auditeur par les sentiments, et « Eye of the Storm » en est l’exemple, car c’est une véritable tempête de l’âme. Composer ce genre de morceau est toujours expiatoire, car cela permet d’exprimer un sentiment fort, souvent de désespoir, et de le sublimer

Maxence Cyrin DJ ?

Je préfère les concerts. Cela dit, j'aime bien faire des selectors [DJ set généralement non destiné au dancefloor, ndlr] de temps en temps, car c'est agréable de passer les disques qu’on aime et de les faire découvrir…

Qu'écoutes-tu en ce moment ?

Je trouve que la société actuelle est violente, je me réfugie donc dans la musique cosmique et planante de Tangerine Dream et Klaus Schulze, car j’ai envie de calme, de bien-être, d’amour et de bonnes valeurs… je deviens presque un hippie !

Quelle est ton actualité ?

J’ai récemment adapté le répertoire de Miss Kittin pour piano/voix, nous avons un projet de live. J'ai aussi composé quelques titres pour le prochain album du chanteur Nicolas Comment. Enfin, j'attends avec impatience la sortie du clip de « Eye of the storm »…

As-tu des projets ?

Je travaille sur un nouvel album qui s’appellera « The Space Between Us », un projet cosmique, disco et psychédélique.


Un grand merci à Maxence.

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