Yann Destagnol a opéré au sein du groupe Modjo le temps d'un album et surtout d'un single emblématique de l'été 2000 : « Lady (hear me tonight) ». Après cette aventure dans la musique électronique, Yann s'est dirigé vers d'autres terrains musicaux sous le nom Yann Destal, révélant ainsi un tout autre univers de sa créativité.
Bonjour Yann !
Comment as-tu découvert la musique ?
Je devais avoir cinq ans lorsque ma tante, chez qui j'ai vécu une année, a décelé chez moi une manie de chantonner et de taper un peu partout. Elle m'a alors inscrit au cours de solfège et de flûte à bec. J'ai si bien réagi que je passais des heures enfermé dans la cage d'escaliers (pour profiter de la réverbération de l'endroit) à jouer les airs de jingles et de dessins animés qu'on entendait à la TV. Je jouais assez souvent pour qu'on me considère comme « le musicien de la famille ». Hormis mon père qui était très mélomane et qui collectionnait des vinyles de groupes très divers et par milliers, personne dans ma famille n'était réellement passionné de musique. Après quatre années de flûte intempestive, on m'a subtilement conseillé de m'attaquer à un autre instrument. J'ai opté pour la clarinette, car le chat dans Pierre et le Loup de Prokofiev (qui était mon personnage préféré) était incarné par cet instrument. Mon attrait pour la musique s'intensifia et je touchais à tout ce qui pouvait générer une mélodie : le piano, le synthé etc. Je faisais mes premières compositions à deux doigts, puis trois... Plus tard, vers l'adolescence, je m'épris pour la batterie. Le côté charismatique mais retiré du batteur en faisait pour moi le personnage le plus vertueux d'un groupe. Je décidai d'être batteur, et j'eus mes premiers groupes avec des amis de mon grand frère. Parallèlement, j'enregistrais dans mon coin mes premières chansons sur un 4 pistes à cassettes.
Après le bac, il fallait bien faire des études. Heureusement, mon statut de « musicien de la famille » a imposé à mes parents sans que j'ai à batailler que je fasse de la musique dans ma vie professionnelle. Je suis alors allé à l'American School of Modern Music de Paris. Le côté « spécialisé en jazz » de cette école ne me convenait pas vraiment, mais le fait que j'avais pris des cours de batterie depuis plus de dix ans me permettait de suivre sans avoir à trop m'y impliquer. Puis, petit à petit, l'absence d'harmonie dans la batterie a fini par me frustrer et je me suis lassé de cet instrument. De plus, je m'intéressais de plus en plus au chant.
Comment as-tu fait la rencontre de Romain Tranchart avec qui tu formeras le groupe Modjo par la suite ?
J'ai rencontré Romain par le biais de Cyril Bodin [des groupes Aloud et Amen Birdmen, ndlr], on se croisait lors de squatts interminables dans la chambre de bonne de Cyril à jouer de la guitare jusqu'au matin. J'avais montré un jour à Romain comment jouer « Black Bird » des Beatles à la guitare et il l'a apprise en deux minutes, je me suis dit : « Woah, voilà un mec qui assure ! ».
Comment s'est faite la formation du duo ?
Par un heureux hasard, Romain et moi nous sommes recroisés à l'American School où il s'y était également inscrit. On se parlait le temps d'une clope entre deux cours car nous n'étions pas dans la même classe. Je le voyais proposer à des mecs de passer chez lui pour faire de la zik car il avait un sampler, quelques machines et un ordinateur. Puis, un jour, il m'a proposé à mon tour et je me suis dit « pourquoi pas ». Je n'y connaissais rien en électro mais c'est justement ça qui était intéressant. Il avait un morceau qu'il devait rendre rapidement pour un « micro label » et il me proposa de le faire avec lui en chantant dessus. Il me fit écouter le sample de Chic, « Soup for One », on a cherché des idées et une semaine plus tard, on avait terminé notre première chanson, « Lady ». Puis il m'a dit - d'après l'avis de nombreux potes - que l'on devrait le faire écouter à une plus grosse maison de disques car « ça sentait le tube ». Je ne sais pas comment, mais on a obtenu dix rendez-vous en deux jours pour faire écouter « Lady ». Toutes les maisons de disques étaient intéressées, au moins pour un one shot, à l'exception de Virgin qui trouvait qu'il manquait un refrain ! On a finalement signé chez Barclay car ils semblaient les plus motivés, nous proposant un vrai développement d'artiste.
L'été est arrivé et « Lady » a été le morceau de l'année à Ibiza, puis dans la foulée numéro un en Angleterre. Il nous a fallu enregistrer aussitôt que possible les 11 autres morceaux de l'album qui sortit un an après.
Avais-tu envisagé un jour d'enregistrer un album et de partir en tournée ?
C'était tout simplement un rêve qui devenait réalité, même si je n'avais pas eu le temps de le rêver longtemps. Je veux dire, la célébrité et le succès commercial sont une récompense, mais je n'étais pas dupe du caractère séduisant et superficiel de tout ça. Je fais de la musique car c'est ma passion depuis mes cinq ans, et ce n'est pas un tube d'été qui fera de moi quelqu'un d'accompli. De plus, j'avais déjà toutes ces chansons enregistrées que je gardais de côté parce qu'elles ne convenaient pas au groupe Modjo, et que je n'enregistrerai que sous mon propre nom, en solo. Pour moi, cette période sonnait comme un début, je restais assez calme.
Durant cette tournée, j'ai passé des moments que je n'oublierai jamais, c'était génial. On est parti dans l'idée de jouer les morceaux en version acoustique, comme un groupe de rock, avec nos vieux potes, sans samplers ni machines. C'était ce qui nous paraissait logique à l'époque, mais aujourd'hui je me rends compte que c'était très « casse-gueule », les gens qui s'attendaient à voir deux DJs auraient pu se sentir floués. En fin de compte, on a toujours été très bien accueillis, sans doute que le public de Modjo n'était pas un public spécialisé en électro mais un public plus large, en tout cas ça a été une réussite !
Après l'aventure Modjo, tu as sorti un album solo, The Great Blue Scar, sous le nom Yann Destal, dans un style complètement différent et sans aucunes sonorités électroniques...
Après la tournée, il était temps pour moi de passer à mon projet qui bouillonnait de plus en plus, trop longtemps mis de côté. J'ai enregistré avec mon ami Renaud Bordes douze démos en trois mois, et on les a fait écouter à la maison de disques qui avait signé Modjo sans trop savoir s'ils accrocheraient. À ma surprise, ils ont « adoré ». On a alors enregistré l'album final à Londres avec les producteurs Paul Kendall (Depeche Mode, Goldfrapp...) et Stephen Hague (New Order, Peter Gabriel...). Quand l'album est sorti, il n'a pas trouvé son public chez les programmateurs radio et eut peu de succès. Peu importe, pour moi il restera une des choses dont je serai le plus fier d'avoir fait dans ma vie. Seulement par la suite, cela changea quelque peu le rapport avec ma maison de disques, qui devint légèrement malsain à mon goût. Ils me demandaient sans relâche d'être l'artiste qu'ils voulaient que je sois. Non pas que je ne voulais rien concéder, mais je n'ai pas été capable d'être cet artiste quand bien même j'ai essayé. J'en suis heureux aujourd'hui, je n'échangerai jamais l'insuccès contre la servitude. Après plusieurs longues années perdues à ce petit jeu, ils m'ont finalement libéré de notre engagement.
Tu joues toi-même tous les instruments sur ton premier album solo...
J'aurais aimé faire participer d'autres musiciens à l'enregistrement, car je sais que la collaboration de différents esprits apporte une richesse qu'on ne peut pas trouver seul. Mais je préfère travailler seul dans mon studio tant que j'ai le niveau technique suffisant pour jouer les parties moi-même, ça va tellement plus vite. De plus, je sais exactement comment jouer pour ne pas empiéter sur les autres instruments mais au contraire les aider, du coup tout s'imbrique proprement. J'aimerais expérimenter un peu moins de « propreté » justement en enregistrant avec d'autres musiciens...
Peu après la sortie de ton album solo, tu composes « Un Univers », chanson écrite pour la première fois en français...
En général, je chante en anglais car ma musique l'implique tout naturellement. Mais plus rarement, il peut arriver qu'elle implique le français, et c'est ce qui est arrivé pour cette chanson. Je n'ai rien contre le français, seulement je trouve qu'il a moins de musicalité dans les sons que l'anglais, en revanche, il a plus de charisme dans le sens. C'est pourquoi j'ai passé trois bonnes semaines à bûcher sur le texte de « Un Univers », car je considère qu'on ne peut pas tricher avec cette langue ni s'auto-satisfaire trop facilement. Il m'est difficile d'écrire en français, mais une fois que c'est fait, je suis plus heureux de ce que j'ai exprimé dans le texte. J'ai une autre chanson francophone, « Fou du Monde ».
J'ai remarqué que tu faisais plein de covers (reprises)...
C'est un exercice que je pratique en effet beaucoup et depuis toujours. J'ai appris à chanter grâce aux chansons de David Bowie, The Beatles The Police, Aerosmith, Queen, etc. À chaque groupe différent, j'apprends une technique vocale nouvelle. Encore aujourd'hui je joue régulièrement dans un pub irlandais pour continuer à avancer vocalement, au-delà du plaisir de jouer.
Puis, parfois, il arrive que l'interprétation que l'on donne d'une chanson apporte une autre signification qui n'était pas mise en évidence dans la version originale, alors on peut s'approprier la chanson. C'est ce que j'ai essayé de faire avec « Billie Jean » (Michael Jackson), « Street Spirits » (Radiohead) et d'autres.
Quelles sont tes influences pour The Great Blue Scar ?
Il y en a énormément parmi tous les groupes que j'écoute, mais les plus évidents que l'on peut retrouver sont certainement The Beatles, Pink Floyd, Björk, Kate Bush, David Bowie, Queen, Jean-Michel Jarre, Radiohead, Colette Magny...
Tes projets actuels et futurs ?
Je suis en phase intensive d'enregistrement de nouveaux morceaux. Parallèlement, j'ai d'autres projets en cours, notamment le duo Priors que j'ai formé avec Romain Séo (Rawman), notre premier single devrait sortir en Angleterre sous peu. On m'envoie souvent des instrumentaux pour que je chante dessus, et lorsque ça m'inspire je le fais volontiers ; le dernier en date est de Louis Laroche. Sinon, je viens tout juste de jouer dans un court métrage de Marine-Alice Ledu, non pas que je veuille faire de la comédie une nouvelle vocation mais j'y ai pris beaucoup de plaisir et appris beaucoup de cette expérience. Vous pourrez aussi m'apercevoir dans le dernier film de Jérôme Bonnell, « La Dame de Trèfle », dans lequel je fais une brève apparition.
Voilà c'est à peu près tout!
Un très grand merci à Yann.
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